mardi 7 août 2018

Bienvenue à la délirothèque


Pour préparer l’avenir, celui un peu lointain, disons trente ou cinquante ans, rien de pire que commencer par la raison, la logique : on s’enferme alors dans l’évidence, le connu, les sentiers battus et on refuse de les dépasser, d’aller au delà, de considérer tant de possibles et d’impossibles qui ne réussissent plus à effleurer notre esprit. C’est pourquoi ici à La Zutterie on délire ! Pour aider l’imaginaire à larguer les amarres.
Je sais, les tenants de l’ordre établi, quel qu’il soit, se gaussent et proclament pour exclure : “Il dit lui-même que ce sont des délires !” Ils croient avoir ainsi tout dit pour déconsidérer l’empêcheur de tourner en rond. Mais moi je le revendique ce délire : il m’a été si utile tout au long de ma vie.
Car sans dé-lire, la créativité reste bien pauvre. Reprenons l’origine du mot. “Lira” en latin c’est le sillon que trace le laboureur. Pas très fantaisiste : de l’ordre, de la discipline, on va tout droit… Dé-lirer c’est donc quitter le sillon, di-vaguer, extra-vaguer, dépasser les frontières dictées par les traditions, les maîtres, les routines. C’est se rendre disponible à toutes sortes de chemins éventuels.
Bien sûr, on en peut pas s’arrêter là, se cantonner au délire. Mais on ne devrait pas s’en passer. Il suffit de comprendre la séquence : d’abord on délire, on s’évade du carcan de la raison, on s’enrichit d’autres apports, d’autres dessins, même s’ils peuvent sembler absurdes, roucouler un paradis, virer au cauchemar…
Après s’être ainsi nourri, la deuxième phase est le plus souvent celle des rêves. Certaines des sentes entraperçues nous font envie ou nous font peur ? C’est en rêve que l’on revient dessus. D’autres sont oubliées, pour cette fois peut-être, mais celles qui nous touchent s’emparent de nos songes nocturnes, de nos songeries éveillées. Elles y prennent corps, s’y étoffent peu à peu… ou disparaissent.
Celles qui restent peuvent essayer de passer au troisième stade, celui du projet. C’est là qu’intervient la confrontation avec tous les “établis” : la raison ; les savoirs; les pouvoirs, les vouloirs ; les chiffres, les gros mots qui justifient ; les… Bon, vous connaissez tous ça. De même que l’âge ultime, le quatrième, celui de la réalisation. Je ne m’éternise pas.
Ce qui m’intéresse c’est de favoriser ce que l’on tend à délaisser, à mépriser, à renier, à sataniser, ou tout simplement à méconnaître, à oublier : ce point de départ, ce moment où on quitte la cage et on s’adonne au vol libre, aux dérives, au délire donc.
A La Zutterie, on délire sans cesse. Je n’y ai aucun mérite : je fais ça depuis toujours. Mais j’ai aussi envie de partager. C’est pourquoi je vais ouvrir une délirothèque (rien de nouveau, j’en ai eu en Amérique Latine). Le premier exercice de délirothèque ouverte à tous (sauf aux dogmatiques et psychorigides au stade incurable) se fera lors de la Fête de la Zutterie les 17, 18 et 19 août, aux Fayes, au-dessus du Perrier, à Valcivières.
Une bonne manière de profiter de l’ambiance que créeront les Toqués du Piti Monde, en pause chez moi avant de continuer au Festival d’Aurillac (https:www.facebook.com/LePitiMonde) ; de se reposer de leurs contes et dé-contes, leurs clowns, leurs musiques, leurs rires. Et aussi de lancer un délire sympa sur un sujet prioritaire pour cette fois: notre montagne dans 30 ou 50 ans.
Las Fayas, le samedi 23 juin 2018
(ouf! j'ai même réussi à l'envoyer...)

vendredi 26 août 2016

La pesante absence du chevreuil

L’été engrange les visites, de voisinages, de familles, d’amis, de randonneurs. C’est la saison des partages entre humains et je m’en réjouis car cette année j’essaie de nouvelles énergies de sociabilité. Mais que c’est dur lorsque viennent à manquer le temps pour se ressourcer en solitude, la disponibilité pour cultiver l’harmonie avec le milieu, le goût de l’instant sans programme. L’accueil des humains perturbe la capacité d’accueil d’une vie plus ample et sereine. Par moments j’ai commencé à rêver d’une résidence secondaire vraiment retirée au fond des bois où m’échapper pour une grande pause.
Il est cependant un compagnon dont l’absence depuis un mois me pèse de plus en plus, c’est le chevreuil. Je dis le chevreuil mais je ne sais vraiment pas si c’est toujours le même. Probablement oui. Comment vérifier ? Faut-il vérifier ? Peu importe. Si ma vue baisse et floue les détails des silhouettes de mon entourage, mon coeur comble les vides et me raconte une belle histoire.
C’est au printemps que l’intrigue s’est nouée. Dans la partie de pré récemment débroussaillée pour héberger mes délires de terrasses potagères repoussait une herbe tendre. Plusieurs matins j’y ai aperçu deux jeunes chevreuils qui broutaient, guettaient et disparaissaient en me découvrant. Puis, un début de douce soirée de mai, alors que je lisais dehors depuis dix minutes j’ai retourné le livre et l’ai plaqué fortement sur ma table en bois de Bolivie pour rouler un tabac. Levant les yeux je me suis retrouvé face à un jeune mâle alerté par le bruit et tout aussi surpris que moi. Lui bien campé sur la plaque verte en contrebas, moi bien redressé sur mon banc en surplomb, nous avons longuement soutenu nos regards. Il avait l’air furieux et voilà qu’il m’a défié : levant la patte avant droite, il l’a tenue quelques secondes ainsi puis il en a violemment frappé le sol, toujours ses yeux dans les miens. Puis il a reculé de deux pas, s’est avancé à nouveau et a recommencé. Ensuite il s’est retourné et est parti, mais pas trop vite, pas une fuite.
J’étais éberlué, émerveillé, profondément ému et le souvenir de cette magie m’a accompagné chaque jour. J’attendais la suite.
C’est en juillet que se sont vraiment produites nos retrouvailles. Entre temps j’avais eu plusieurs occasions de partage tranquille, une fois à quelques mètres à peine, mais c’était parce qu’il (parfois ils) ne me voyait pas. C’est du moins ce que je croyais. Jusqu’à ce matin où je suis sorti pour mon entracte quotidien de lien avec le monde via le smartphone. Il était là dans mon pré, j’étais assis, il m’a vu, m’a observé plus d’une minute sans bouger puis s’est remis à brouter, et c’est ainsi que nous avons passé trente-cinq minutes ensemble. Pour la première fois j’ai osé bouger, j’ai envoyé une grosse fumée dans l’air, tout cela sans le faire détaler ; il me voyait, attentif un instant, et reprenait sa pâture. Quand il a disparu derrière le muret du chemin, je me suis levé et me suis déplacé sur mon remblai pour le contempler encore. Quand il relevait la tête j’étais à l’arrêt et il ne se troublait guère. Je l’ai accompagné jusqu’à ce qu’il s’éloigne lentement dans le bois communal.
Nous apprenions à vivre ensemble. Pendant une semaine il est venu presque tous les matins et les soirs pour son circuit d’herbe. Il est même arrivé que nous soyons quatre à ma table, que nous parlions, riions et gesticulions sans le troubler.
En ce mois d’août je ne l’ai pratiquement plus vu. L’herbe est-elle moins tendre ? Le retour des bruits de tronçonneuse et autres moteurs le décourage-t-il ? Sent-il que la saison de chasse s’approche ? Il me manque. Ô combien il me manque ! Il est pour moi plus qu’un compagnon, il est le symbole de mon appartenance au paysage, je ne suis plus un intrus si même les chevreuils m’acceptent, me laissent vivre et bouger à leurs côtés. Ne m’abandonne pas mon bel ami ! J’ai tant à apprendre encore de la vie en vous côtoyant, toi, les oiseaux, les insectes, les arbres, la nature.

Les Fayes de Valcivières, le jeudi 25 août 2016

mardi 12 juillet 2016

Du “canard” au coin pique-nique Héloïse

C’est vrai, j’en tiens une couche : je passe sans doute plus de temps à entretenir espaces et chemins de l’entour qu’à aménager mon propre terrain. Mais qu’est.ce que j’y prends mon pied ! Ce qui vient de m’arriver il y a dix jours en est une excellente illustration.
Tout avait commencé en alternance et émulation avec Daniel. En mai je découvrais une petite inondation à l’entrée de la voie conduisant au château d’eau des Chaumettes: probablement une ancienne canalisation (un “canard”) bouchée. J’en avais entendu parler. J’ai cherché son point de départ mais sans succès. Alors j’ai appelé Daniel, le voisin buronnier qui a fait le principal de l’entretien dans ce coin depuis des années. Avec ses indications j’ai continué ma quête, creusant à divers endroits le long du fossé en grande partie obstrué. En vain.
En juin, Daniel est venu, a retrouvé la source du mal et a fait une première réparation provisoire. Dès que j’ai pu, après la mi-juin, je suis monté nettoyer les abords pour faciliter le travail estival de remise en état des lieux. Quand j’arrivai sur place, Daniel venait d’y repasser et de débroussailler la zone la plus proche. Stimulé j’ai continué plus loin. La semaine suivante, partant faire mes courses à Ambert, voilà que je rencontre Daniel qui en remettait une couche, encouragé de ne plus être seul à affronter. Emoustillé à mon tour, le dimanche 3 juillet j’arrivais pour compléter. C’est là que j’ai dérapé…
Allant au delà du simple labeur utilitaire, Daniel s’était éloigné du fossé lui-même et avait taillé des genêts envahissants, aménageant l’espace de vie commun. C’était la plus belle des invitations. Je me suis lancé à refaire une beauté à la principale croisée de chemins, celui qui grimpe au Plateau des Egaux et celui qui conduit au Gros Rocher. Taillant, élaguant, désherbant, je me réjouissais d’accueillir à nouveau la lumière, la vue, les possibilités de se poser et de savourer.
Se poser? Il y a cette énorme pierre plate à cinq mètres, à droite en direction du Gros Rocher; j’y songe depuis longtemps. J’ai bifurqué et je me suis attelé à adapter ce recoin, à le rendre attirant. Jusqu’à vingt heure trente je n’ai pas réussi à m’arrêter, me nourrissant du plaisir possible de ces gens qui randonnent sur nos sentiers. Et puis, dans mon coeur, je le baptisai “Coin pique-nique Héloïse” car je rêvais d’égayer ainsi les séjours en cyberburon de la petite fille avec papa Tophe.
Lundi j’étais de retour en milieu de matinée car, en face, l’état lamentable d’un fossé embroussaillé gâchait le paysage. Après l’avoir débarrassé des repousses de genêts, de saules, de bouleaux, j’allais couper l’herbe quand… le défilé a démarré: deux bus, trois classes élémentaires du Livradois, arrivaient, s’installaient à la croisée, décidaient d’y pique-niquer tandis qu’ils visitaient le cyberburon, témoin de l’estive d’autrefois.
C’est ainsi que j’ai eu la plus belle des récompenses que je pouvais imaginer: à peine conçu, le coin pique-nique était envahi d’enfants et de leurs accompagnateurs, de cris, de rires, de vie. Et même d’un partage nouveau car Lucas est venu me proposer son aide pour entasser les branches que je coupais, rejoint presque aussitôt par d’autres de ses petits camarades. Quelle inauguration !
Imaginez mon émotion. D’ailleurs j’ai demandé à Christophe Gathier, organisateur et guide de cette échappée scolaire, de m’envoyer pour vous une photo de l’instant.

Imaginez aussi toutes ces idées et envies qui depuis tournent dans ma tête. C’est quoi un intraterrestre ? Je ne peux pas (encore ?) répondre à ce défi de début d’année. Mais je suis convaincu qu’une condition indispensable c’est de ne pas venir en propriétaire,en possédant,en dominant et, au contraire, de se poser en invité, de mériter son écuelle, d’apporter son écot au commun. Alors les murs reculent, les frontières de la “propriété” se diluent, on appartient au tout, on s’inclut dans les partages avec toutes les formes de vie, on s’ouvre, on reçoit, on exulte...

Les Fayes de Valcivières, le mardi 12 juillet 2016

lundi 30 mai 2016

C'est la fête, c'est Janivières


Ce matin je suis gonflé d’énergies positives alors j’en profite pour m’essayer à cette écriture qui me fuit de plus en plus, pas celle qui en permanence s’épanouit ou se déroute dans ma ciboulotte mais celle qui s’accouche en clavier et peut se partager. Energies positives? La faute aux 70 ans de Janine qui se fêtaient hier en château barjot de Valcivières.
Les anniversaires ont bien des rites et des codes. J’étais content d’y participer mais, la veille, ma tentative d’en ébaucher une petite parodie avait débouché sur une forte accélération des méninges qui ne s’éteignit pas et me valut nuit blanche, décomposant mes vers et mes horaires. Pourtant de bien plus forts émois devaient en samedi venir émousser mes fatigues et mes phobies de foule et m’embaumer d’une douce béatitude.
Bien sûr, il y eut d’abord en midi le pique-nique des exilés arrivant de loin, la plupart vétérans des années héroïques où de toute la France surgissaient hippies et marginaux soixante-huitards attirés par nature et paysages et par le faible coût de maisons à louer ou à acheter en Forez et Livradois. L’ambiance était aux retrouvailles et aux souvenirs qu’en pièce tardivement rapportée dans ce cercle je ne pouvais que contempler.
Puis, profitant de ce que les orages augurés jouaient encore à cache-cache alentour, commença le débarquement rythmé des contemporains, en solo, en couples, en familles, des enfants, des ados, des adultes, des anciens, des natifs et des immigrés, avec plats, cadeaux, petits mots, jeux, fleurs, francs sourires et joyeux délires. Comme j’acquiers peu à peu quelque mémoire de têtes et de noms, j’alternais ou je me baguenaudais plaisamment, goûtant l’heure et les rencontres.
Ensuite, la pluie nous concentrant sous les couverts, je me surpris à ne point ressentir cette oppression qui couramment me gagne au sein des affluences. Bien au contraire. Je m’imprégnais, j’entrais en ravissement. Pour sûr c’était l’anniversaire de Janine qui nous rassemblait ici. Et personne n’aurait voulu manquer cette occasion de lui témoigner l’attachement, l’amitié, la reconnaissance. Mais c’était plus aussi. C’était comme une communauté qui se célébrait elle-même à travers Janine qui en est âme, lien, confessionnal. Oui, c´’était beaucoup plus que la fête de Janine, c’était celle de Janine et Léon car ils sont complémentaires et indissociables dans cette animation des entraides, des envies et des liesses. C’était la fête de tous ceux qui forgent cette culture de la solidarité, de la qualité de vie dans le goût du local et l’ouverture à la diversité, au delà des avoirs, des titres et des pouvoirs, en réjouissance d’être et faire ensemble, sans exclure ni s’enfermer. C’était la fête de cette nouvelle auvergnitude qui s’esquisse et se complaît dans bien des hameaux et villages de l’Ambert et autres endroits.
C’est ce qui me grisait de plus en plus sous ce chapiteau devenu pressoir de rêves. C’était la plus belle démonstration que je ne m’étais pas trompé en choisissant Les Fayes pour dernier refuge car si ses charmes de nature et d’ouvrages paysans m’avaient envoûté je savais aussi y trouver des voisinages selon mon coeur, l’expérience m’ayant déjà appris que le lieu le plus magique peut devenir cauchemar s’il est encerclé par des nuisibles.
Alors, pardon Janine, je ne me suis pas empressé dans les salles grouillantes où démarrait ta cérémonie d’années. J’ai préféré l’auvent déserté afin de mieux savourer mon émotion et accueillir un nom pour ce moment de festivité : la Janivières. Jani évidemment car si tout ceci est de tous, tu en es le symbole. Et Vières pour ce Valci qui héberge une belle concentration d’adeptes du beau et chaud vivre ensemble et en est donc un autre symbole.
A quand la prochaine Janivières? Car si mieux vaut seul que mal entouré, même pour un ermite il est encore plus merveilleux d’être seul et se savoir bien entouré.

Les Fayes de Valcivières, le dimanche 29 mai 2016

mercredi 16 mars 2016

Des envies d’intraterrestre

Deux fois je me suis fait botter le cul au cours des derniers mois. Par les Andes d’abord. Par Christophe ensuite.
Les Andes, j’y suis allé en novembre-décembre. Une petite conférence à La Paz; quatre semaines de plus à partager avec les amis de Bolivie et du Pérou. Une escapade dans le monde, donc. Avec les émois revigorants de toutes les retrouvailles, les rencontres, les saveurs. Avec les inévitables assauts épuisants d’un séjour exclusivement urbain : le bruit, la pollution, les foules, l’agitation, tout ce à quoi je ne suis plus entraîné .
Au retour, une dérangeante sensation de frustration que peu à peu j’ai commencé à attribuer à une certaine perte de spontanéité dans la relation avec les amis. La distance, des quotidiens qui s’éloignent, les difficultés de partage des défis en cours ? Puis, après un mois, ça a fait tilt : l’absence de réciprocité dans nos échanges. Et j’ai pris conscience que c’était moi le responsable car je ne sais pas apporter et offrir la substantifique moelle de mon vécu en retraite auvergnate.
Bien sûr, ça m’a secoué. J’ai cherché une explication dans ma carence d’interlocuteurs ici pour réfléchir et approfondir cette nouvelle vie. La faute peut-être à ma sociabilité réduite. Mais surtout à ce sentiment que j’ai toujours en France, depuis mon premier départ pour l’Amérique Latine, il y a quarante-sept ans à présent, de ne pas pouvoir être compris à cause de références culturelles trop divergentes, d’être devenu un extraterrestre pour l’Europe. D’ailleurs je ne fais plus guère l’effort d’essayer d’expliquer.
Là-dessus ,mon jeune voisin Christophe, celui de l’abristophe, a débarqué et m’a balancé : “Extraterrestre? Tu me donnes plutôt l’impression d’un intraterrestre avec ta façon d’établir le lien à cette terre, à ce lieu !”
J’ai mis quelques jours à digérer. A comprendre lentement. A reprendre les mots et les pensées que j’emploie pour parler d’ici. A repérer vides et contradictions.
Depuis le début je ressens pleinement l’extraordinaire richesse et densité de mon existence dans cette montagne ; je la savoure à tout instant. Mais pour en parler j’ai plutôt recours aux mots et aux images que me renvoient les autres ; je me cantonne dans les clichés par lesquels on me dépeint : ermite, homme des bois, solitaire, pour ne pas dire barjot.
Finalement je fais comme tous les simplistes: j’utilise le modèle courant du monde urbain, de la société de consommation, etc. ; et je compare : absence de… De bruits, de foules, de pollution, de calendrier, de médias, etc. Par la négative c’est facile, non? Même en maternelle on peut le faire.
Par contre, par la positive c’est plus exigeant. Comment habiller la parole avec une vision claire de ce que signifie la relation à la vie et à l’entour dans mon être ici ? Comment aborder sans pontifier les conditions de base qui y sont indispensables : l’ouverture, le respect, la disponibilité, la sensibilité, la patience ? Comment expliquer ces rapports au temps et à l’espace, les chemins de cette quête des essentiels de la nature, des essentiels de la vie, sans s’enfermer dans les astreintes de la philosophie ou de la science, en écoutant, en recevant, en communiant ?
Bon, je vous gonfle ? Vous préféreriez que je vous raconte les mésaventures de mon Duster encore bloqué dans la neige plus haut sur la montagne ? Mes nombreuses nuits en bus-couchette entre La Paz, Cochabamba et Lima ? Les délices de piments au Pérou ?
Désolé. Si j’ai bien compris, j’en ai pour un bon moment avant de me sortir des défis posés par les Andes et le Tophe. Me voici avec des envies d’intraterrestre. En fait, je me suis assez reposé ces dernières années. Alors, si je ne fais pas d’indigestion trop vite...
Las Fayas de Valcivières, le mardi 15 mars 2016

dimanche 18 octobre 2015

Le vacarme des feuilles mortes

Première neige ce matin. Des sentiments mêlés. La joie de retrouver cette luminosité particulière quand la blancheur extérieure irradie mes intérieurs, même sous les brumes. La tranquillité d’avoir, ces deux derniers jours, multiplié les allers en ville pour m’approvisionner d’hiver. L’émoi des spots à led et piles qu’hier j’ai commencé à poser un peu partout et qui éclairent à présent mon coin cuisine, ma chambre et divers autres points de la grange ; j’ai même de la lumière au dessus du lavabo, donc un miroir utilisable, et je pourrai me raser, peut-être…
Mais aussi l’angoisse de ma brouette magique en panne chez un voisin et que, seul, je ne peux ni réparer ni transporter. Le retard à remplir l’abristophe en bois de chauffage, surtout le fayard trop éloigné pour le transporter à la main. Le doute sur la durée de ce coup de froid : débuté en nouvelle lune, tiendra-t-il un demi-tour de satellite ou s’effilochera-t-il très bientôt ; puisque plusieurs jeunes doivent venir demain en stop depuis le sud, il me faudra aller les chercher quelque part ; tout à l’heure j’ai eu bien du mal à remonter le Duster pour le conduire sur le plat de la voie forestière.
Surtout, ces gelées précoces ont accéléré la chute des feuilles, les arbres se sont bien déplumés et le plus beau de l’automne vient probablement de s’envoler. Nous étions pourtant à l’un de ces moments, brefs mais intenses, les plus féériques de l’année. Au sol la guerre des roux faisait rage entre myrtilles, repousses de sorbiers et certains champignons. Au-dessus, les ramures lançaient leurs éclats de couleurs si variées selon les essences, si changeantes de jour en jour. Ah, la splendeur écarlate des merisiers, l’or doux des érables, l’or brun des fayards, la mosaïque aérienne des bouleaux !
Les heures les plus émouvantes étaient celles de fin d’après-midi quand le soleil dardait des rayons presque horizontaux qui exaltaient la végétation. Grâce à mes élagages je pouvais mieux contempler ce ballet chatoyant, un peu comme un mirage qui scintille entre terre et ciel et embaume les sens.
D’ailleurs je crois bien que ce spectacle a été ma principale thérapie pour retrouver mon être et mon énergie vitale lorsque je suis rentré d’une quinzaine en tournée de familles entre Normandie et Champagne : j’arrivais mal à rétablir l’harmonie avec la montagne… jusqu’à ce que je m’abandonne aux ébats de l’automne et de ses coloris. On dit que la thérapie chromatique ça existe !
Alors, aujourd’hui, j’essaie de me remémorer quand elle a vraiment commencé cette fête d’après l’été. J’ai un indice à retrouver : quand la chute des premières grosses feuilles d’érable m’a-t-elle fait sursauter, me retourner vivement en croyant que quelque homme ou animal approchait dans mon dos ? Car ce n’est qu’au début, ensuite on s’habitue à ce bruit.
Je ne me souviens pas précisément mais peu importe ; me voici ramené deux ans en arrière. Je commentais ces sursauts à mon voisin Jean-Baptiste et il a eu alors cette exclamation mi-railleuse, mi-poétique : « Le vacarme des feuilles mortes ! » Elle m’est restée car elle me donnait un repère pour comprendre que l’automne avait démarré et surtout parce qu’elle m’offrait une image simple et très expressive pour décrire la vie ici.
Dans ce « vacarme des feuilles mortes » tout est dit sur l’habituelle quiétude sonore de ces lieux, sur les partages de nature en ce versant montagneux diversifié, sur la paix active des jours et des heures entre les foules d’êtres multiples qui l’habitent, également sur la densité accrue des perceptions lorsqu’un soubresaut éclate et souligne ou perturbe les jeux de sérénité.

Las Fayas de Valcivières, le jeudi 15 octobre 2015

jeudi 20 août 2015

L'hibernation thérapeutique de l'estropied

Entorse ? Foulure ? Le dernier billet, écrit à chaud après mon incident de « cheville », est un bon reflet de ce que peut produire l’ignorance. Par exemple, il m’a fallu attendre beaucoup plus d’un mois avant de pouvoir le poster sur le blog ce billet hâtif : la supposée foulure était en fait bien plus que cela et m’a tenu immobilisé ici depuis lors ; j’avais la patte rac.
C’est mon voisin Jean-Baptiste qui m’a fait déchanter. A peine quelques petites manipulations et il m’annonçait déjà une probable fracture du péroné. C’est normal, il est médecin. Mais moi je suis moi et j’ai quand même préféré offrir du temps au repos pour voir s’il suffisait. Gros œdème aidant, j’ai finalement rendu les armes, accepté une radio, puis un plâtre, puis l’hibernation thérapeutique… Un comble en ce mois de juillet toujours très beau et parfois caniculaire !
Pourtant j’ai assez bien tenu le choc. D’abord l’hibernation je connais ; j’avais même apprenti l’hibernation estivale l’an dernier quand juillet s’était noyé sous 300 millimètres de pluie ; il suffit de se mettre en transe du hors-temps, comme lors de mes interminables voyages intercontinentaux dans des avions et aéroports non fumeurs, de se fournir en provisions, lectures et méditations diverses, de s’abandonner à d’autres disciplines et de ne point trop compter les heures et les jours.
Et puis le printemps avait été long et favorable ; en quatre mois j’avais fait bien plus que d’autres années ; la frustration de l’inactivité en était amoindrie ; même l’extrême sécheresse jouait en ma faveur, freinant l’invasion végétale de mes espaces favoris ; on attend mieux quand les travaux eux-mêmes savent attendre.
Enfin ces semaines ont été l’occasion de savourer avec une rare intensité l’un des deux principaux charmes, avec la nature et ses paysages, de mon versant de montagne : l’ambiance chaleureuse et fraternelle d’un voisinage discrètement solidaire, disponible sans faire pression, sans supplanter ni étaler. Le rêve pour quelqu’un comme moi qui aspire à l’autonomie tout en appréciant l’interdépendance et ses partages.
Il y a là toute une culture locale qui s’est nourrie aux usages d’entraide et réciprocité sans lesquels les anciens paysans n’auraient pu survivre en ces lieux, aux idéaux communautaires ou associatifs de divers groupes de nouveaux résidents installés progressivement ici au cours des cinquante dernières années, au tissu d’échanges et réjouissances qui relie les générations successives d’occupants des burons en Chaumettes et Fayes. Bien sûr il y a des exceptions. Ainsi, à quelques centaines de mètres à peine, des arrivants avides de pouvoir et d’argent ont préféré des relations à base de domination, de chantage procédordurier et de violence : ils n’ont plus guère à qui parler et pourrissent dans leur coin en cultivant leurs primes agricoles et leur haine esseulante.
Bon, n’idéalisons pas non plus cette hibernation thérapeutique. La semaine dernière, c’était devenu de plus en plus dur, de plus en plus raslebolique. Mais depuis vendredi je peux appuyer le pied et rejoindre la vie active. Trois jours à fendre du bois en équipe et une journée de débroussaillage de mes alentours immédiats viennent donc de me ressourcer, de me régénérer, de me rendre le sommeil en fatigue physique et l’apéro en pause délassante (je dormais bien et je buvais bien, mais ce n’était pas la même chose !).
Il reste de cette expérience la conviction que, si j’ai pu vivre ici en béquilles, je devrais pouvoir le faire aussi, le jour venu, en fauteuil roulant. Allez, j’ai encore quelques aménagements à réaliser pour cela ; je peux le faire, même avec mon estropied : j’y vais de ce pas déhanchant.
Les Fayes de Valcivières, le mardi 18 août 2015

vendredi 7 août 2015

Une pause en cheville avec le temps

J’en avais marre : depuis des mois je ne savais que répondre à ceux qui, en visite ou au téléphone, me demandaient comment ça va. Les « Bien », « Très bien » ne font rêver personne. Il n’y a rien à raconter quand le moral, le physique, l’intellect déroulent en douceur des quotidiens savoureux. A quoi bon importuner avec le récit de tous ces petits rien qui émerveillent le cœur et nourrissent l’âme ! Et mes découvertes grandioses ne le sont que pour moi qui débute dans ce style de vie mais sans le charme d’un vrai débutant.
Alors, hier matin, j’ai pris le taureau par les cornes et je me suis pété la cheville. Oh, rien de grave, une foulure ou bien une déchirure, des choses qui se soignent surtout avec du repos. Encore que je pourrais monter ça en épingle pour un petit récit héroïque de grand invalide perdu dans sa montagne. Mais j’aurai l’air de quoi quand bientôt je trotterai à nouveau ?
Et puis ça a quand même du bon : c’est la pause ; pour presque tout. Par exemple, hier je me suis offert un congé pour mon état actuel d’herbivore. Presque deux mois qu’avec le démarrage de mes essais de potager je me nourris essentiellement de plantes ; en commençant par les feuilles des premiers radis à éclaircir, en continuant avec les laitues, les cressons, les blettes, agrémentées de persil, de coriandre, de ciboulette, de basilic, de menthe. Rien de bien extraordinaire mais j’étais sous le charme et je me disais que je devenais français (dans bien des pays d’Amérique Latine on m’affirmait que les français sont des lapins car ils mangent énormément d’herbe). Hier donc, mes verdures étant inaccessibles, j’ai eu le grand plaisir de revenir à mes diverses boîtes de conserves. Que c’est bon la pause !
De même, voilà à présent plus de vingt-quatre heures que je n’ai pas mis les pieds dehors alors que, depuis les journées enchanteresses du pré-printemps de mars je n’avais jamais cessé de circuler dans mon pré et dans les environs, de m’y activer ou de m’y poser successivement dans chacun des petits recoins accueillants qui s’offrent à moi et qui se multiplient d’année en année. Rester en intérieurs ? Le strict nécessaire. Ou bien parfois, lorsqu’il avait absolument fallu aller en ville, pour débloquer la tension en jouant quelques heures aux cartes sur l’ordi avant de ressortir rétablir l’harmonie.
La nature, les paysages, les ambiances sont si captivantes que même les journées où je me levais avec la ferme intention de glander et ne « rien faire » se déroutaient dès que je sortais pour un petit tour : il suffisait d’un « rien » pour commencer à « faire »… Hier je n’ai rien fait sinon reposer ma cheville !
Et ce matin, si comme souvent je me suis éveillé avec l’envie d’écrire quelques lignes, voilà que non seulement j’ai l’envie mais aussi la disponibilité. Tant que je n’aurai pas de béquilles je ne pourrai pas aller contempler l’impressionnant assèchement des sources, ni vérifier l’évolution des aménagements en cours, ni écouter pousser les plantes, ni… Donc j’ai du temps alors que d’ordinaire c’est plutôt le temps qui m’a, et qui me séduit par ses langueurs et ses ardeurs.
Le temps ! « Temps libre » dit-on. Mais libre de quoi ? En fait, ici le temps m’a libéré de moi, de mes obligations, de mes obsessions, de mes passions, il m’a libéré de ma voracité et m’a invité à vivre. Ma cheville me rend à d’autres envies ? Profitons-en, ça aussi c’est un plaisir, le plaisir de rencontrer brièvement le vieil homme que j’étais, de le saluer, de partager un peu avec lui. Car il ne faut pas l’oublier : j’aurai encore des hibernations à passer en sa compagnie.

Las Fayas de Valcivières, le jeudi 2 juillet 2015

vendredi 3 avril 2015

Jours de pré-printemps sans voracité

Hier midi, héroïque, j’ai mis ma cape de pluie et je suis allé jusqu’au Perrier, où est garée ma voiture en fin de bitume, vérifier l’état des chemins par lesquels je pourrais passer avec Caucase, ma brouette magique à moteur et à chenilles, afin de descendre les poubelles de l’hiver et de m’offrir une grosse remontée de provisions et surtout de lessives. Ça m’a semblé jouable même si le gros canard au-dessus de la sapinière est encore difficilement franchissable : il reste trop de neige durcie pour bien accrocher mes transports. Le ciel étant annoncé comme devant se dégager à partir de lundi soir, je me suis motivé pour un programme de sorties.
Ce matin, après une nuit de grand vent et saucées persistantes, voilà que les prévisions météo ont changé : de l’eau en flocons ou en gouttes jusqu’à la fin de la semaine ! Donc retour aux sessions d’intérieurs.
Je ne suis pas surpris mais en même temps je m’étonne de mon manque de frustration, de cette acceptation paisible. Il y a deux ans, quand l’hiver s’attardait, multipliait ses rebondissements, la lassitude m’avait gagné, quelques ondes de déprime m’avaient assailli. Alors que cette fois je m’attendris presque devant cette si parcimonieuse éclosion du printemps, ces alternances ; je découvre qu’il existe une autre saison, le pré-printemps, un transit au ralenti où chaque jour apporte un nouveau signe, pas comme l’explosion soudaine de certaines contrées, de certaines années.
Je ne suis pas surpris car je sais que c’est en moi qu’il se situe le changement : j’ai avancé un peu plus sur deux voies parallèles et complémentaires de l’ermitage heureux, réserves et dépouillement. Des réserves suffisantes en nourriture et chauffage pour assurer la survie et ne pas subir la hantise d’une plongée au monde aux fins d’approvisionnement. Le dépouillement de toutes urgences obsédantes, toutes ces envies de faire, d’avoir, de consommer, de rencontrer, de léguer.
L’hibernation bien vécue m’y a beaucoup aidé. Je m’y suis régénéré. Même intellectuellement et il y a longtemps que je n’avais ressenti une telle curiosité sans pressions : c’est avant tout dans mes encyclopédies que se sont plongées mes lectures et je ne les avais jamais autant parcourues, sautant d’un sujet à l’autre, d’un tome à l’autre, ou cheminant dans l’ordre alphabétique…
Alors, pré-printemps ? Oui puisqu’il ne s’agit pas d’une absence mais d’une question de rythme, de lenteur. Ainsi, mes nettoyages de printemps sont commencés depuis un mois et je n’ai guère besoin de les presser. Arbres cassés, déracinés, trop inclinés ? Ils sont légion en chemins et en champs. Dans les terrains communaux à myrtilles j’ai débuté en raquettes de neige pour abattre et débiter et j’aurai le temps de déblayer branches et branchages avant l’amorce des fleurs. Sur les voies qu’encombrent tant de têtes de sapins, les encore rares promeneurs feront des détours ou attendront que ma brouette puisse y porter les outils pour tronçonner et débarrasser.
Nul jardinage n’a encore démarré mais le lent recul de l’enneigement offre des regards différents, propose des sites impensés où disperser les graines récoltées à l’automne, suggère des emplacements où enraciner les fruitiers qui mûriront en années futures de climat réchauffé, exhibe des inconnues qui mériteraient d’être transplantées.
En fait, ce qu’il me fallait pour être capable d’apprécier ces jours de pré-printemps c’était de désapprendre la voracité, cette voracité de vivre en avoirs, savoirs ou pouvoirs qui altère les êtres et les devenirs. Sans voracité printanière, qu’il est doux ce pré-printemps de sensations et activités sans cesse renouvelées, sans cesse déboussolées, sans cesse recentrées par un présent qui s’illumine en rêves et en béatitudes.

Le lundi 30 mars 2015

mercredi 4 mars 2015

Mon bouleau Révérence

C’est fini. Hier encore je le montrais à mes hôtes nantais, prosterné vers ma porte-fenêtre du nord. Avec les pluies d’hier et de la nuit, ce matin il s’est redressé et ne me gratifie plus que d’un vague salut. Il approche le temps où la sève s’éveillera, où les feuilles bourgeonneront puis étaleront leurs plumets, où sur ses ramures prolifèreront insectes et chenilles, attirant les oiseaux, où l’activité bouleversera l’intimité. Lui, il commence à s’y préparer.
Déjà une certaine nostalgie m’imprègne doucement. Je sens que bientôt, lorsqu’au lever j’ouvrirai mes volets intérieurs, j’oublierai de le chercher des yeux pour l’honorer. Il se confondra dans la masse boisée et sans la révérence il perdra son évidence. D’autres compagnies déshibernées solliciteront mes sens et mes attentions.
Cependant je sais que le lien que nous avons tissé cet hiver-ci est plus fort et durable qu’autrefois, très différent même car j’ai accueilli sa requête qu’avant je n’entendais pas vraiment et j’ai ressenti ce qu’il m’offrait si je le laissais vivre, une amitié à la fois paisible et festive.
Les bouleaux révérence foisonnent dans mon entourage, surtout cette année où une neige lourde a ployé bien des têtes jusqu’au sol puis, en gelant, les a bloquées dans son piège. A tel point que je circulais le sécateur à la main afin de pouvoir rouvrir un passage dans les barricades qu’elles dressaient sur toute la largeur des voies principales.
Par sa proximité et son orientation respectueuse, celui-ci m’amusait spécialement. Mais il était condamné. Poussé dans le bas du grand champ communal qu’arbustes et arbres ont reconquis progressivement depuis que les chèvres n’y broutent plus et que, bon an mal an, j’essaie d’éclaircir afin que la lumière féconde et mûrisse les myrtilles, il était sur la liste de mes élagages et abattages à venir : trop incliné pour les quêtes d’ensoleillement et trop proche du chemin pour que ses racines ne risquent de disjoindre l’empierrement.
A présent il est sauvé, de moi du moins. Je puis témoigner que ses plongeons ne cherchent guère à gêner le transit, que ses racines sont trop éloignées pour empiéter, que ce recoin a peu de myrtilles à offrir. Et, surtout, il m’a conquis, il a réussi, hiver après hiver, à créer le lien, à devenir « lui » et non pas « un des… ».
C’est ce matin que son identité s’est pleinement révélée à moi lorsque j’ai découvert qu’il allait me manquer, que j’allais attendre l’autre hiver pour le retrouver. Du coup je caresse un projet nouveau : choisir sa sève, dès qu’il sera assez gros, pour mes cures de printemps. Ainsi nous pourrons mieux cultiver notre compagnonnage, nos partages, nos réjouissances.
Durant mes onires de cette hibernation je m’amusais à lancer un défi aux botanistes : ces « bouleaux révérence » sont trop singuliers, ne formeraient-ils pas une espèce en soi au sein des bétulacées ? ne le mériteraient-ils pas puisque leurs courbettes ne peuvent indifférer ? A présent je m’en fous, j’ai « mon » bouleau révérence, mon révérant.
Ce « mon » se fait miel dans ma bouche, il n’est pas celui d’un propriétaire anxieux de possession (d’ailleurs lui vit sur les Communaux), il est celui d’un ami, d’un frère, celui de l’affection. Celui qui surgit lorsque le paysage environnant devient relation et émotion.
Et puis, là, il y a un plus : c’est quand même vers moi qu’il se prosterne en hiver !

Las Fayas, le lundi 2 mars 2015

mardi 10 février 2015

Démesures d'un "vrai hiver"

Quand a-t-elle vraiment commencé cette vague de neige et de froid ? Impossible de faire le décompte des jours. Quand on aime, on ne calcule pas. Je sais que c’était lors de la dernière décade de janvier mais je n’ai pas mesuré, je me suis simplement adonné aux sensations paisibles du bien-être hibernant.
Combien de neige est-il tombé ? Là aussi je n’ai que du ressenti mais point de mesures. D’aucuns me commentent les commentaires qui circulent : beaucoup plus d’un mètre ; du pas vu depuis dix ans… Mais j’ai rapidement abandonné mon ruban métrique et j’ai cessé de centimétrer : presque tous les jours je voyais voltiger la poudreuse mais comment savoir ce qui tombe du ciel et ce que le vent décolle des arbres ou du sur-sol ? Au petit matin je pouvais avoir à enjamber très haut devant ma porte sans pouvoir déterminer ce qui n’était que congère et ce qui relevait d’un nouvel apport. J’ai préféré me repérer aux perceptions vivantes, par exemple les mouvances de mes images du pré en dessous puisque la base de mes tracés s’élevait et rehaussait ma vue. Parler de neige seule ne veut rien dire, il faut l’associer au vent ; et il était bien présent !
Et puis, cette année, j’ai délaissé le perçage de tunnels de fenêtres pour que la lumière atteigne mes pièces, sauf pour la salle de vie évidemment, car finalement la neige est un isolant additionnel, mais j’ai perdu un élément de comparaison. En tout cas la chambre matrimoniale du bas n’a jamais été dans le noir. Donc : rien d’exceptionnel.
Jusqu’où la température est-elle descendue ? Là non plus je ne peux guère préciser. Mon grand thermomètre extérieur ne marque pas les minimas et je ne me suis guère levé avant la clarté. Les soirées bouquinantes se sont prolongées peu à peu et au réveil l’obscurité me faisait replonger dans le sommeil ou dans le rêve. Je me suis contenté de vérifier que les moins dix duraient et que la nature aurait bien le cycle de grand gel qu’elle semble apprécier. Mon intérieur était chaud, parfois trop pour moi, et pour les extérieurs c’est surtout le vent qui peut métamorphoser une froidure revigorante en gelure paralysante.
Alors voilà, nous l’avons eu la vague de neige et de froid qui signe « un vrai hiver » mais je ne peux pas le démontrer avec les chiffres du rationnel et du scientifique. Je préfère le scientifoque de la démesure et là je peux vous le dire : qu’est-ce que je me suis régalé !
Le plaisir était double. Pour moi, j’avais l’isolement et les douceurs d’un ermitage libéré des angoisses de la survie. Et le paysage se parait des couches et couleurs qui à présent peuvent ravir les visiteurs en quête de ski, de raquettes et de veillées au coin du feu.
On aurait presque pu croire que cette fois c’était la nature qui s’était adonnée à la rigueur des calculs : les vacances d’hiver ont commencé samedi et vent et froid se sont justement calmés pour agréer les arrivants ; dimanche le soleil a fait son apparition et un vent forcené a décoiffé les arbres de leurs couettes blanches avant qu’elles ne tombent sur les promeneurs ; ce lundi ensoleillé est d’une splendeur émouvante, attirante, ravigotante.
C’est sans doute pour cela que ce matin je me suis enfermé le plus possible à l’intérieur : pour profiter de mes batteries solaires qui rechargent l’ordi ; pour pondre les messages d’internet à nouveau accessible par des chemins fréquentables ; pour me prémunir contre l’excès d’euphorie du beau, de l’émerveillant ; pour retarder le moment de retrouver un monde déshiberné ou du moins m’y préparer en infusant mes émois dans ce blog.
Souvenir des dernières couleurs d'automne, en octobre: le merisier
Comme quoi c'est bon pour hiberner...

Las Fayas de Valcivières le lundi 9 février 2015

mercredi 28 janvier 2015

Hymne à l’hibernation

Il est bien loin le temps des hantises lorsque, impressionné par les voix qui cherchaient à me prévenir contre moi-même– « Tu ne vas quand même pas passer l’hiver là-haut ! » -, j’appréhendais la longue parenthèse, ses neiges, ses températures, ses difficultés d’approvisionnement. L’expérience et les réserves aidant, c’est avec délectation que j’ai entamé cette cinquième saison en hivernage de montagne.
De fait, je l’attendais, j’en avais envie. Pour la pause qu’elle apporte dans l’année, l’occasion de retrouver plus de solitude et moins de sollicitations en travaux et visites. Egalement pour assouvir ma soif renaissante de partages en écrits.
Dès la première neige, début novembre, je créais un fichier destiné aux nombreuses pages dans lesquelles j’espère me délivrer des émois et témoignages d’ermitant. La blancheur n’a pas duré et je suis reparti en chemins à aménager ou à parcourir. Dès le rebond hivernal de fin décembre, je créais un nouveau fichier avec le même propos mais en espagnol cette fois car j’avais supposé que mon manque de persévérance était peut-être dû à la langue, aux complicités différentes que cultive chacune.
J’avais d’ailleurs essayé de m’inventer un rythme : les quatre heures d’hibernation à partir de l’aube ne sont guère propices aux extérieurs car l’éventuel soleil tarde à dépasser la montagne à l’est et à réchauffer l’air et pourraient accueillir les mots d’intérieur. Mais…
Il semblerait qu’une cause première c’est que… l’hibernation a du mal à démarrer. Comment rester enfermé devant un écran alors que de merveilleuses journées ensoleillées affole tous les sens ? Ajoutez-y quelques déboires occupants et préoccupants dans mes récentes tentatives de faire venir mes potions magiques depuis l’Amazonie et vous aurez les raisons des feuilles même pas blanches, inexistantes.
Cependant je persiste. Ce matin il neigeotte et j’en profite pour me remettre en quête de mes voix dévoyées, avec un passage au blog à manière d’apéritif car j’ai d’abord besoin d’écouler mes sensations d’hivernant, ce dépouillement de sons, de tâches et de pulsions, ce chant de lumières éclairantes ou aveuglantes, ce repos du cœur et du corps, cette lenteur des gestes et des émotions, cette tendresse des heures, ces relectures dépassionnées pour savourer un bien-senti, un bien-dit, un bien-pensé.
Bien sûr c’est encore meilleur après une année remplie en réjouissances et réalisations douces et diverses et avant une autre qui n’annonce aucune urgence, aucune trépidance, aucune souciance, aucune importance. C’est ainsi que l’on peut s’adonner à la pause, à la rêverie, à la célébration de l’ermitage en hiver en montagne en retraité frugal et apaisé.
Alors l’hibernation cesse d’être cette saison « difficile à passer » pour devenir la cerise sur le gâteau, l’auberge des recueillements et des renaissances, des deuils aussi et, peut-être, des retours sur page : une tranche de contemplation de paysages où s´égarer, une plage de feu de bois où se dorer, un bréviaire d’heures où se promener, une musique de mots où s’étonner, un festin de souvenances où se gaver, un duvet de langueurs où se plonger, un grenier de vieilleries où se rhabiller…
Ouf, les limites de ce billet sont atteintes : je peux vous libérer.

Las Fayas, le vendredi 16 janvier 2015
Finalement, c'est plus facile d'écrire que de monter au cyberburon pour poster... 

mardi 9 septembre 2014

Un si long et si plein silence

Le solstice d’été m’avait comblé d’émotions très spéciales : au soir du 21 juin s’était ouverte la première fleur plantée ici par moi-même ; au soir du 22 j’avais croqué les deux premiers radis de mon pour l’instant mini-potager. Un superbe aboutissement pour un printemps nouvellement botanique de ma part.
L’envie existait bien sûr depuis mon installation, mais… l‘aménagement du relief et des espaces était prioritaire, sinon où planter, où semer ? Et puis je ressentais le besoin de mieux connaître mon milieu avant d’apporter des modifications à sa flore. Pourtant, transformer l’information en connaissance requiert quelque mémoire. J’avais oublié les couleurs des printemps précédents et, lorsque commençait le renouveau de la végétation, j’avais quelque frustration de couleurs : du vert, du jaune, du blanc mais peu de rouge, de bleu, de... C’est là que je m’étais motivé à introduire quelques vivaces pour leurs fleurs.
Bon, quelques semaines après mes acquisitions de plants et de graines, j’aurais dû me cacher tant j’avais honte : les abords de la maison resplendissaient d’un tapis multicolore et absolument naturel ! Mes talus, si désespérément minéraux après le passage de la minipelle il y a deux ans et que j’avais alors revégétalisés par des carreaux de terre et d’herbes prélevés à l’entour, étaient un hymne à la diversité, de couleurs, d’espèces, de formes, de musique d’insectes…
Fin juin, l’été donc. Et un apprentissage de plus : l’art de l’hibernation estivale ! Cinq cent millimètres d’eau sont tombés en un mois, entre quelques beaux déluges orageux et une symphonie d’averses et de bruines. Mais les écoulements fonctionnaient. Mais l’air restait chaud. Mais les innombrables éclaircies offraient leurs sorties, leurs travaux. Mais je m’étais préparé.
C’est par dérision que j’avais sorti ma collection de science-fiction d’Asimov ? J’ai eu le temps de tout relire peu à peu, tranquillement, jouissamment ; puis, stimulé par cette plongée dans la science et ses devenirs futurs, je suis remonté au Big Bang et à l’évolution des théories sur les origines de l’univers ; puis… les visiteurs habituels de la saison et les activités des prés, chemins et bois m’ont bien occupé dehors ; puis l’été indien est survenu avec la fin août.
Alors, ce long silence ? Non, je ne suis pas mort, pas encore. Non, je n’ai pas abandonné mon ermitage. Non, ce n’était pas le mauvais signal de déboires quelconques. Simplement j’étais trop plein de cette aventure des saisons qui toujours nous surprennent et qui, quand on n’a plus d’urgences, très souvent nous ravissent. J’étais en mode « réception » et, désolé, je n’étais pas capable de partager en mots de clavier, sans l’appui d’une présence, d’un regard, d’un ricanement muet ou sonore, d’un café ou apéro pour huiler le nous.
Au début je pensais que c’était un peu la frustration de ne pas savoir rendre en photos l’émerveillement de mes yeux, de mes pores, de mon cœur, ou bien la conséquence d’un vocabulaire en voie d’appauvrissement dans mes deux langues (j’en perds beaucoup en espagnol ; j’oublie vite celui de je découvre ou redécouvre en français).
Mais non, ce n’était sans doute que le fruit de mon nouvel état de retraité à plein temps et de mon enracinement qui s’approfondit : tout mon trop plein d’émois apprend à s’écouler dans le silence et l’harmonie de ces lieux. Cependant, promis, je vais essayer de maintenir ouvert le déversoir de ce blog. Il a son charme et ses arômes, même si je le délaisse quelquefois. Il a son utilité pour mieux conserver, dans l’ici et maintenant du buron, un goût de nous grand et vital.

Las Fayas d’au dessus du Perrier, Valcivières, le mardi 9 septembre 2014

vendredi 16 mai 2014

Turbulences de jeunes aux Fayes

Ah, ces jeunes ! Quelle race ! Et je ne suis pas raciste mais… Un peu d’apartheid fait du bien parfois ! Non ?
Imaginez, nous on est déjà un peu dans l’apartheid. Entre nous, les voisins, on parle beaucoup de retraites, de fin de vie. Quand on touche à la jeunesse, c’est de la nôtre qu’il s’agit, en souvenirs qu’on vante ou qu’on tait pour mieux les savourer sans en être dérangés. On fait bien un peu semblant de s’intéresser aux jeunes d’aujourd´hui, à leurs projets et à leurs devenirs, mais surtout on plaint leurs déboires et on se plaint des aides qu’on est obligés de continuer à leur apporter. Au moins, ils sont loin. Sauf que… là, en à peine cinq jours, je viens d’en avoir eu deux qui sont venus foutre leur merde alors que j’étais peinard et que je n’avais rien demandé.
D’abord ce fut Teresa, une franco-latinoaméricaine que j’avais accepté d’aider dans ses réflexions sur comment présenter dans un documentaire ses images et ses tendresses rapportées de la région de Cotahuasi dans les Andes. Le film terminé elle m’a invité à Paris pour me le montrer. Eh bien, comme je ne supporte plus guère les villes, elle a débarqué ici vendredi pour deux jours !
Pour mieux voir, fallait attendre la nuit. Alors elle s’est mise à me raconter ses voyages, ses rencontres, ses émerveillements dans le sud du continent américain. J’écoutais et je me transportais gentiment car je connais beaucoup de ces lieux et de ces gens, même si ce ne sont pas toujours exactement les mêmes. Au soir elle a sorti son ordi et son court-métrage et m’a repu de vues, de vies, de dits, de tout. A la nuit je n’étais plus aux Fayes, mes rêves dérivaient furieusement là-bas.
Alors, le lendemain, en réciprocité, j’ai voulu lui montrer mes Andes de France. Comme j’ai découvert qu’avec les bâtons je peux marcher moyennement à nouveau, nous sommes partis en balades proches. Mais voilà qu’entre mes émois andins de la veille, le fait de pouvoir vivre et parler en espagnol, les retrouvailles avec des recoins que je ne visitais plus guère, c’est sans doute moi qui ai été le plus émerveillé par l’extraordinaire diversité d’ambiances et de paysages, dans le mosaïque créé par les prés, les parcelles abandonnées, les régénérées, les plantées, et sillonné par un réseau très dense de chemins empierrés, tout cela dans un espace réduit. Partout je retrouvais les lutins et les fées, comme dans les Andes, comme à mes débuts ici. J’étais chamboulé.

Toutes les photos sont de Teresa Reyes
Je commençais à m’en remettre quand hier mardi c’est Antoine qui a surgi. Oh, pas physiquement, par internet. Il m’envoyait son mémoire de master. Comme c’était sur les origines de la « capitalisation (pouah !) d’expérience » et que c’est de ma connaissance, j’avais accepté de le recevoir ici en mars et nous avions passé quelques heures sympas. A présent c’était… cent-cinquante pages… style académique en plus ! Pas du polar pour sûr…
Je m’y suis mis l’après-midi : faut toujours vérifier qu’on n’a pas été trop trahi ! Mais voilà qu’il me présentait des ancêtres, ici et en Amérique Latine, que je méconnaissais ou que j’avais oubliés. J’ai parcouru un peu puis : « Salaud ! Faut que je lise tout ! » Pour la première fois depuis des années je me suis tapé un texte universitaire jusqu’à… deux heures du matin. Et j’ai apprécié.
Mais, ce matin, faut pas me parler des jeunes. Avec eux on ne peut pas être tranquille, s’adonner aux routines de la vie d’ermite, laisser s’écouler les heures et les jours. Faut que ça bouge !
Et ça m’a bougé… En fait, les jeunes, si on n’en abuse pas, c’est pas mal. C’est pas mal du tout même. On en redemanderait presque. Enfin, à petites doses quand même…

Les Fayes de Valcivières, le mercredi 14 mai 2014

dimanche 6 avril 2014

Le facteur du Livradois-Forez est passé par ici

Le facteur, cette fois-ci, c’est Jean-Marc Pineau, un marcheur-conteur qui a entrepris de visiter, en cinquante-et-un jours et à pied, toutes les communes qui forment le Parc Naturel Régional du Livradois-Forez auquel j’appartiens (http://www.parc-livradois-forez.org/Mon-voyage-en-Livradois-Forez.html). Il était à Valcivières ce mardi premier du mois et, puisque son propos est de rencontrer les habitants et de partager avec eux une veillée culturelle, je me suis retrouvé avec « un programme » : participer à la soirée prévue au col des Supeyres, dans le chalet des Gentianes.
Facteur ? Jean-Marc n’a guère eu l’air enchanté de mon interprétation sur son rôle dans cette affaire. Lui préfère s’inscrire dans la lignée des « écrivains-voyageurs ». Et j’avoue que j’avais un peu forcé. J’avoue. J’étais parti dans mes rêves et mes délires : son trajet zigzaguant pour n’oublier personne me faisait penser à ces « lettrés-voyageurs » d’antan, les facteurs à pied qui, chaque jour, avec les courriers, les mandats et les nouvelles dans leurs sacoches et dans leurs têtes, parcouraient tout le territoire à la recherche des présents.
Pourtant, en moi, c’était un compliment que je lui faisais : Hommage à celui qui fait ce qui doit être fait ! Hommage au précurseur ! Car c’est tellement frustrant de se dire : j’appartiens à cette commune de Valcivières et je n’en connais pas le dixième des villages ; j’appartiens au Livradois-Forez et je n’en connais pas le dixième des communes…
Bien sûr, je pourrais prendre ma voiture (actuellement, à pied, c’est dur ; je ne suis plus dans la marche mais dans la démarche) et faire systématiquement le tour de ces deux territoires, la commune et le Parc ; mais pour moi, connaître c’est rencontrer les gens, les écouter, les voir dans leur contexte, échanger. Faire le touriste et contempler des paysages, faire l’enquêteur et poser des questions à des élus des fonctionnaires, des locaux, ce n’est pas connaître !
C’est ainsi que je voyais Jean-Marc en facteur de rencontres et d´échanges, en catalyseur des paroles et des vécus, en tisseur de lien, en précurseur d’activités à venir, en pionnier d’une autre circulation des gens, des idées, des produits, des rêves au sein de ces territoires.
Bon, c’est vrai, je suis déformé. Quarante de travail sur le développement rural m’ont amené à croire que cette circulation-là est une des premières bases pour pouvoir construire un « nous » qui garantisse le sens et la durée de tout ce que l’on veut bien entreprendre ensemble. Et j’en suis convaincu ! Nos meilleurs résultats en Amérique Latine sont venus en cultivant cette circulation, cette connaissance mutuelle. Car si la méfiance est souvent le point de départ de toutes réactions, dans la rencontre sur place naît la confiance, surgissent les complémentarités, les envies, les actions.
Mardi soir, je suis rentré tout stimulé à mon buron. Trop stimulé. Il m’a fallu attendre deux heures du matin pour que s’écoulent tous mes délires et que je puisse me coucher ! J’imaginais chaque village (ou groupe de villages) de Valcivières recevant tour à tour les habitants de la commune. Je rêvais de nouveaux « tours du Livradois-Forez » organisés chaque année par des habitants-marcheurs se relayant sur les chemins pour cultiver le lien. Je délirais de changeants jumelages à l’année entre communes du Parc pour se connaitre et se comprendre. Je divaguais sur les administrations apprenant qu’elles ont là, à l’écoute des gens et de leurs échanges entre eux, de bien meilleures pistes que leurs « consultations » et soutenant le mouvement, instaurant un prix aux meilleurs rendus de ces jumelages, en images, sons, textes ou autres, afin de s’en alimenter.
Je vous l’ai dit : je délirais. Qu’est-ce que c’était bon… et usant ! Merci Jean-Marc.

Las Fayas (Le Perrier), le samedi 5 avril 2014

vendredi 28 février 2014

Découverte du hamac des neiges

La fin février est, comme presque chaque année, l’occasion d’une vie sociale plus intense. Les vacances scolaires apportent leur lot de voisins venus se dégivrer dans les burons des moiteurs de vies plus urbaines et se retrouver en partages de raquettes, balades, tables garnies et causeries soit sérieuses soit nostalgiquement gaillardes.
C’est pour moi une sorte de retour sur terre après l’hibernation qui peut être parfois languissante et qui fut cette fois extrêmement réjouissante. Retour sur terre dans la mesure où cela se traduit par un retour au calendrier : les jours de la semaine retrouvent un sens, les réveils un programme établi, les journées un horaire, les mots des interlocuteurs. Avec, étrangement, une certaine continuité animale ce mois-ci puisque mes récentes lectures arctiques se sont vues proposer des titres souvent dans la même veine avec, en provenance de Nantes, un lièvre (celui du Vatanen de Paasilinna) et un pingouin (celui de Kourkov), et, de la part d’Uzès, un loup et de vieilles hulottes. Je ne serai pas dépaysé.
Non pas que j’en aie aperçu beaucoup des animaux ces temps-ci car la neige a fait un retour en force à la mi-janvier. Les abondantes grives de fin d’année ont disparu avec les dernières graines de sorbiers, qui furent fort abondantes. Le passage des bouvreuils fut rapide. J’ai entendu aboyer quelques chevreuils mais n’en ai vu qu’un. Un renard m’a salué un matin. Quelques traces m’ont intrigué mais moins que d’ordinaire.
En fait, ce fut l’hibernation parfaite. Plus d’un mois sans descendre faire de courses à Ambert, sans allumer l’ordi plus que tous les dix ou quinze jours, sans sortir presque de mon petit territoire, avec un bon feu et avec… mes visiteurs rituels. Evidemment il y a mon voisin Jean-Baptiste, quand un bon soleil et l’état des routes l’éclatent par ici. Il y a aussi le Tophe de mon abri qui, depuis le hameau des Versades, traverse à pied, en neige, en un ou en deux. J’ai même reçu ma fille Yara et son compagnon Daniel.
Surtout, il y a Yank, l’apiculteur du Perrier, que sa chienne Gaïa entraîne régulièrement dans la montagne et qui lui autorise souvent une pause-café dans mes murs. Je commence à bien connaître Gaïa et je deviens capable de prévoir les arrivées et donc de m’entraîner à dérailler ma voix oubliée et d’accommoder le moment du café chaud.
Cat et Yank en terrasse d'hiver

Cette année, cerise sur le gâteau, j’ai même eu la surprise de montées en couple du Perrier : Maryse et Jean-Claude d’abord ; Cat et Yank ensuite. C’est dire que l’hiver est doux. C’est dire que la montagne est belle. C’est dire que la vie a du goût.
La neige est une des clés de ce goût, de cette beauté. Elle m’a même décidé à ressortir l’appareil photo. Je ne voulais pas m’enfermer dans la routine facile des paysages enneigés. En fait, depuis le moment, en juin en Amazonie péruvienne, où j’avais dû choisir entre la photo et le vrai plaisir du moment, j’avais une certaine résistance à mettre en boîte des lieux et des instants que j’aime mais dont je ne sais pas rendre l’âme dans l’image.
Comment ne pas devenir contemplatif?
Ces bois tordus, quel guignol !

Ce qui m’a décidé, c’est le hamac de neige. Le hamac, c’est connu, c’est pour se prélasser au soleil. Cette fois, j’étais si enjoué par mes contemplations qu’un jour j’ai sorti le siège-hamac pour mieux en profiter. Et j’ai découvert que c’est génial car il est très facile à suspendre, à décrocher, à sécher. Je l’ai adopté. J’ai mon hamac des neiges. Il est vieux, il vient du Nicaragua. Je l’ai copié en photo. Il faudra qu’un jour je le baptise au rhum.


Les Fayes du Perrier à Valcivières, le mercredi 26 février 2014